Comment les parents se disputent – Impact sur le bien-être des enfants

Les formatrices et les formateurs parentaux sont conscient-e-s de l'importance du lien et de l'éducation pour le bien-être des enfants. Mais la relation entre les parents joue également un rôle crucial. Lorsqu’ils sont malheureux dans leur couple et se disputent fréquemment de manière destructrice, cela affecte négativement le climat familial. Cela absorbe les ressources parentales, affaiblit leurs compétences éducatives et complique leur sensibilité parentale. Les parents transmettent ainsi des modèles de comportement négatifs à leurs enfants. Comment peut-on alors soutenir les parents pour qu’ils élèvent non seulement bien leurs enfants, mais aussi qu’ils leur offrent un environnement émotionnellement sain et stable ?

Cette question était au centre de la conférence marquante du Prof. Dr Guy Bodenmann et de la Dre Corinne Bodenmann lors de l’assemblée générale de Formation des Parents CH. Ils ont présenté des résultats clés de la recherche sur le couple et la famille, tout en apportant des suggestions concrètes pour la pratique de l’éducation parentale.
 

Les conflits entre partenaires sont inévitables. Cependant, la manière dont ces conflits sont gérés a une influence déterminante sur le bien-être des enfants. Le Prof. Dr. Guy Bodenmann, expert en thérapie de couple et de famille et professeur de psychologie clinique spécialisé dans l’enfance, l’adolescence et les familles à l’Université de Zurich, a démontré comment les conflits destructeurs peuvent nuire à l’état émotionnel, psychologique et physique des enfants.

 
Les enfants comme « compteurs Geiger émotionnels »
Les enfants sont des observateurs très sensibles de leur environnement. Bodenmann les décrit comme des « compteurs Geiger émotionnels » capables de détecter même les plus subtiles tensions entre leurs parents. Des signaux aussi discrets que des réponses laconiques ou une ambiance tendue pendant le dîner peuvent déclencher du stress chez l’enfant. Les conflits entre parents ne sont pas seulement audibles, ils sont aussi ressentis – les enfants perçoivent intuitivement la dynamique émotionnelle.

« La qualité de la relation parentale est un prédicteur central du bien-être des enfants. Les enfants ressentent très finement les tensions entre leurs parents – souvent avant même l’apparition de conflits ouverts. »

 

Prof. Dr. Guy Bodenmann, Université de Zurich

Un conflit en soi n’est pas négatif, c’est l’expression de besoins ou d’objectifs divergents. Il devient problématique lorsqu’il est géré de manière destructrice. Selon une méta-analyse résumant des études des 30 dernières années, les conflits destructeurs ont un effet modéré sur le bien-être des enfants. Les conflits très intenses, impliquant de la violence psychologique ou physique, laissent des traces profondes.

Exemple de pratique : Un enfant en crise

« Un adolescent dépressif a raconté : ‘Mon père et ma belle-mère se disputaient trois à quatre fois par semaine. Cela a commencé quand j’avais dix ans. Ils criaient, s’insultaient, se détruisaient verbalement. Je tremblais dans ma chambre, j’entendais tout à travers les murs. Je tremblais de peur. Puis soudain, c’était le silence. Ce silence était aussi terrible que les cris. Je n’arrivais pas à dormir et je ne m’y suis jamais habitué.’ »

Cet exemple illustre comment les enfants souffrent des conflits destructeurs – pas seulement émotionnellement, mais aussi physiquement. L’adolescent décrit des sueurs, un cœur qui bat trop vite, une sensation d’oppression – symptômes classiques de stress intense.



Ce que ressentent les enfants
Les enfants perçoivent les conflits destructeurs comme profondément menaçants. Ils se posent des questions comme :

  • « Mes parents vont-ils divorcer ? »
  • « Est-ce ma faute ? »
  • « Cela va-t-il finir par devenir violent ? »

Cette charge émotionnelle se manifeste par des sentiments d’anxiété, de culpabilité, de honte et d’impuissance. Beaucoup d’enfants développent une impression irrationnelle d’être responsables du conflit – par exemple à cause de mauvaises notes ou d’un comportement « pas assez sage ».



Conséquences négatives des conflits destructeurs
Les recherches montrent un large éventail de conséquences négatives sur les enfants :

  • Troubles psychiques : anxiété, dépression, troubles alimentaires (symptômes intériorisés).
  • Troubles du comportement : agressivité ou retrait social (symptômes extériorisés).
  • Réactions physiologiques au stress : taux de cortisol élevé, troubles du sommeil.
  • Souffrance émotionnelle : culpabilité, honte, désespoir.

Particulièrement inquiétant est le cercle vicieux qui peut se créer : les enfants imitent les comportements dysfonctionnels de leurs parents et manifestent à leur tour de l’agressivité ou du repli. En même temps, ils souffrent de difficultés de concentration et de résultats scolaires dégradés.

Guy Bodenmann souligne que ces souffrances ne disparaissent pas à la fin du conflit. Les enfants portent souvent ces blessures émotionnelles pendant des années – sous forme de pensées obsédantes ou de symptômes psychosomatiques comme des maux de tête ou des troubles digestifs.



Styles de conflit : ouvert vs. caché
La Dr Corinne Bodenmann illustre différents styles de conflit destructeurs :


Conflits ouverts destructeurs

  1. Verbaux-agressifs : cris, insultes, reproches.
  2. Physiques-agressifs : violence ou menaces.
  3. Passifs-agressifs : sarcasme, comportements manipulateurs.


Conflits cachés destructeurs

  1. Latents : tensions non exprimées, retrait démonstratif.
  2. Évitants : les conflits sont ignorés ou refoulés.
  3. Ambigus : communication malhonnête, absence de position claire.

Il est intéressant de noter que tant les conflits ouverts que cachés ont des effets négatifs sur les enfants – avec peu de différences dans la gravité des conséquences.

 
Le cercle vicieux des conflits destructeurs
Guy Bodenmann décrit un cercle vicieux :

  1. Les parents se disputent souvent et de manière destructrice.
  2. Cela génère du stress et une surcharge pour les parents.
  3. Leur sensibilité aux besoins de l’enfant diminue.
  4. La qualité du lien avec l’enfant se détériore.
  5. L’enfant développe des troubles du comportement – ce qui devient une nouvelle source de conflit.

Ce cycle montre l’urgence d’identifier et de rompre les schémas conflictuels destructeurs.
 

La résolution constructive des conflits comme clé
La seule sortie possible est une gestion constructive des conflits :

  • Les parents s’écoutent activement et prennent en compte les besoins de l’autre.
  • Les critiques sont concrètes (pas généralisées) et exprimées sous forme de messages en « je ».
  • La réconciliation après un conflit est essentielle.

Des conflits constructifs offrent aux enfants un modèle positif de gestion des désaccords et favorisent leur stabilité émotionnelle.



Le rôle des formateurs parentaux : ouvrir des espaces, rendre les sujets visibles
Que signifie tout cela concrètement pour les professionnels de l’éducation parentale ?

  1. Sensibilisation aux thèmes relationnels : même si les parents semblent poser des questions éducatives, il est utile d’inclure des aspects du couple. Car souvent, les conflits éducatifs trouvent leur origine dans la relation conjugale.
  2. Temps en couple comme prévention : les parents ont besoin d’encouragement pour prendre soin de leur relation. L’éducation parentale peut fournir des idées concrètes, des méthodes et des ressources.
  3. Déstigmatiser le stress : le stress ne doit pas être perçu comme un échec personnel. Il est normal que les familles soient sous pression – l’important est la façon de gérer cette pression.
  4. Offrir des modèles et des espaces de réflexion : dans une atmosphère sécurisante, les parents peuvent réfléchir à leurs schémas relationnels et adopter de nouvelles perspectives – sans approche thérapeutique, mais dans une logique de promotion de la santé et de prévention.

 

Conclusion
Un message ressort comme un fil conducteur de la conférence de Guy et Corinne Bodenmann : les enfants n’ont pas besoin de parents parfaits – mais de parents qui travaillent sur leur relation. Car les enfants apprennent par l’exemple. La manière de gérer les conflits, de nommer les émotions, de créer des liens ou de supporter la frustration – tout cela s’apprend au quotidien.

La qualité de la relation parentale est donc un facteur de protection central pour le développement de l’enfant – sur les plans émotionnel, social et scolaire. Cette conférence nous invite à penser l’éducation parentale de manière systémique et globale – comme un travail sur la relation, qui renforce, accompagne et ouvre des perspectives. Et puisque beaucoup de couples n’ont plus aujourd’hui de modèles de communication et de résolution de conflits efficaces, l’éducation parentale peut combler ce vide important.

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